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Lune Noire, image du film LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS (No profanar el sueño de los muertos) de Jorge Grau
Mardi 28 Mars 2017 — 20H45 — CINÉMA UTOPIA

5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 6,50 euros ou ticket d’abonnement Utopia

LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS

No profanar el sueño de los muertos
Jorge Grau
Espagne – Italie / 1974 / couleur / 1h29 / VOSTF

Avec Ray Lovelock, Arthur Kennedy, Christine Galbo

Interdit au moins de 16 ans

Séance présentée par Loïc Diaz-Ronda, programmateur, critique, chercheur. Il travaille actuellement à la rédaction d’un ouvrage traitant du grotesque dans le cinéma espagnol, dont il est un spécialiste.

Certains films vous marquent moins en raison de leur scénario qu’en raison de l’atmosphère qu’ils dégagent, parce quelque chose de subtil et d’impossible à circonscrire complètement est logé au sein même de leur imperfection. Le massacre des morts-vivants appartient à cette catégorie de films ; film hallucinant, qui s’apparente plus à un état somatique qu’à un film de fiction.

Cette classieuse coproduction hispano-italienne ne devait cependant être, au départ, qu’une imitation en couleurs du premier film de George A. Romero, LA NUIT DES MORTS VIVANTS (1968), sorti avec succès quelques années plus tôt. A priori, rien de renversant. Mais dans les mains du réalisateur espagnol Jorge Grau, franc tireur proche de l’École de Barcelone évoluant entre documentaire, expérimentation et cinéma de genre, la commande allait accoucher d’une œuvre fort personnelle, hypnotique, sombre et carnavalesque ; l’obscure copie dépassant peut-être même, une fois n’est pas coutume, l’original.

Rappelons les faits, ténus, qui sous-tendent ce very very bad trip. En chemin vers sa maison de campagne du nord de l’Angleterre, George, un marchand d’art post-hippie et chic, croise accidentellement la route d’Edna, une jeune femme solitaire venue rendre visite à sa sœur toxicomane. Parallèlement, des événements étranges ont commencé à troubler les paysages verdoyants de la campagne anglaise. À l’hôpital, des nouveaux nés ont agressé leurs nurses et les cadavres fraîchement enterrés semblent pressés de sortir de leurs tombes. L’escapade champêtre vire peu à peu au cauchemar.

Encadré dans le mal nommé premier âge d’or du cinéma fantastique espagnol (1970-79), LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS, loin d’être un échantillon supplémentaire de grand guignol horrifique national, est d’abord un film d’excellente facture. Sa maîtrise cinématographique (cadrage au cordeau, utilisation des décors comme personnages à part entière, photographie blafarde d’où toute couleur vive est bannie), son économie narrative (rythme suggestif et lancinant, dénouement macabre) le rattachent de fait à la meilleure tradition gothique.

Comme souvent dans le film de zombies, Grau a par ailleurs su instiller au genre une dimension critique. À travers une ultra-violence gore, stylisée et hyperréaliste, LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS secoue énergiquement les démons de l’après-68. Pollution, paranoïa, contagion, addiction, gabegie scientifique et haine réactionnaire sont au menu de cette histoire de réveils (du refoulé) impossibles à juguler, qui s’adresse finalement moins aux morts qu’aux vivants et anticipe les dystopies écologistes hollywoodiennes du début de siècle.

Enfin, ce qui rend LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS si original et obsédant tient peut-être à sa science consommée du hors-champ, à commencer par le mode imperceptible de transmission du mal. Grau parsème ainsi son film de détails qui, mis bout à bout, finissent par produire une image monstrueuse du réel. Chaque personnage, plongé dans ses propres obsessions, ne fait que suivre sa pente douloureuse, solitaire et fatale. Les vivants ont cessé de se parler, de se toucher, de faire corps. La rivalité se mue en viralité. Le manque de désir du yuppie, le fascisme du commissaire, la désolation et l’ennui de la vie rurale ; tout concourt à dépeindre un monde dévitalisé, de façon bien plus effrayante que les giclures de sang.

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