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Lune Noire, typographie du film BLACK MOON de Louis Malle
Lune Noire, image du film BLACK MOON de Louis Malle
JEUDI 6 DÉCEMBRE 2018 — 20H45 — CINÉMA UTOPIA

5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7 euros ou ticket d’abonnement Utopia

BLACK MOON

Louis Malle
France / 1975 / couleur / 1h40 / VOSTF

Avec Cathryn Harrison, Joe Dallesandro, Alexandra Stewart, Thérèse Giehse.

Une jeune fille fuit à travers routes l’horreur de l’ultime guerre civile, celle qui oppose les hommes et les femmes. Elle parvient à trouver refuge dans une étrange demeure solitaire au milieu de la campagne, où cohabitent une vieille dame alitée qui parle une langue inconnue, un couple de jumeaux incestueux et des animaux doués de parole.

Il était temps pour un cycle dont le titre y fait implicitement référence, de programmer Black Moon, film méconnu placé sous le signe de Novalis que Louis Malle considérait comme le plus personnel de sa carrière. « Conte de fées mythologique qui se déroule dans un futur proche », selon les termes du réalisateur, il s’agit d’une œuvre ambitieuse et éclatée. Débordant les genres, elle mêle l’atmosphère trouble et languide d’une maison hors du temps, la logique absurde des rêves et d’événements qui surviennent selon un ordre secret, la guerre inter-sexe et le contact établi avec une autre dimension qui l’apparente discrètement à la science-fiction. La présence d’une faune improbable, tels un rat bougon adopté comme animal domestique ou une licorne pataude qui disserte en broutant, lui ajoute une aura fantasmagorique.
Que l’idée du film lui soit venue en rêve ne surprend pas vraiment venant d’un réalisateur qui, dès 1960, a fait exploser les conventions avec Zazie dans le métro et dont l’œuvre se distingue par sa diversité d’approches. Rompant radicalement avec la thématique de ses films précédents (Le souffle au cœur, Lacombe, Lucien) et avec la tonalité réaliste du cinéma français de cette période, Louis Malle se tourne vers une sorte d’écriture automatique et créé, par association d’idées et d’images, un univers déconcertant et désynchronisé.
Black Moon se réfère naturellement au fameux récit de Lewis Carroll, où l’héroïne traverse des miroirs successifs qui sont autant de métamorphoses et d’états de conscience modifiés. Tout comme Alice, la Lily de Malle arpente une demeure close sur elle-même, un microcosme avec ses escaliers, ses paliers, ses nombreuses portes, ses demi-étages et ses occupants quelque peu inquiétants. Comme l’indique la lune du titre, blason astrologique de la sexualité féminine, c’est un lieu initiatique où la jeune fille est confrontée, en un mélange de curiosité et de peur, à la puberté et aux transformations de l’adolescence.
Avec la complicité de Joyce Buñuel (belle fille de) à l’écriture, le rattachant subrepticement au surréalisme d’Un Chien Andalou, Malle élabore une suite d’instants visuels farfelus qui nous font passer du monde extérieur où règne le chaos à un monde imaginaire peuplé de symboles et dénué de tabous, exaltant la folie comme échappatoire. Sven Nykvist, chef opérateur attitré d’Ingmar Bergman, est à son aise dans cette allégorie sur fond d’apocalypse où le ciel de nuages qui domine le paysage rude des causses donne une lumière sans ombres. Tout comme les acteurs qui semblent habiter cet univers insolite le plus naturellement : Cathryn Harrison, qui a l’âge de l’héroïne et s’y identifie pleinement, Joe Dallesandro, star de la Factory de Warhol et habitué aux rôles décalés et décadents dans les films de Paul Morissey, Alexandra Stewart, compagne de Louis Malle et familière de cette demeure qui est la leur, Thérèse Giehse, célèbre interprète de Brecht dont c’est le dernier rôle et à qui le film est dédié.

Incompris et rejeté à sa sortie, Black Moon rayonne d’un éclat mystérieux qui suscite l’admiration des amateurs de cinéma différent. Louis Malle, reconnaissant son caractère opaque, parfois maladroit, considérait ce film « comme un étrange voyage jusqu’aux limites de ce moyen d’expression qu’est le cinéma, et peut-être jusqu’à mes propres limites ».

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