DIMANCHE 5 DECEMBRE — 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7 euros ou ticket d'abonnement Utopia
PIEGE POUR CENDRILLON
André Cayatte
France/Italie, 1965, n&b, 1h55
Scénario de Jean Anouilh et Jean-Baptiste Rossi d'après Sébastien Japrisot
Avec Dany Carrel, Madeleine Robinson, Hubert Noël...
Séance présentée par Eugénie Filho et Marc Moquin, rédacteurs de la revue de cinéma Revus & Corrigés et distributeurs du film.
Stand de consultation et de vente de la revue en partenariat avec la Librairie Mollat.
Une jeune fille se réveille à l'hôpital, victime de graves brûlures et totalement amnésique. On lui dit qu'elle s'appelle Michèle, riche héritière d'un empire de maroquinerie, et que sa cousine Dominique dont elle était très proche a quant à elle péri dans l'incendie dont elle a réchappé. Mais est-elle vraiment celle qu'on lui dit qu'elle est ? Ne serait-elle pas plutôt « l'autre » ?
Dans les années soixante, après des années de dénigrement par les jeunes turcs de la Nouvelle Vague, la réputation d'André Cayatte, symbole de cette « Qualité Française » honnie, a largement perdu de sa superbe. Surnommé sarcastiquement « l’avocat du cinéma Français » par François Truffaut, en référence à sa profession initiale, il est vrai que Cayatte, à l’exception d’un début de carrière porté sur l’adaptation de classiques de la littérature (Zola, Maupassant…), a principalement œuvré dans les films « dossiers », s’intéressant à des affaires judiciaires, matériau jugé alors peu noble car intrinsèquement moral. Pour autant, ce serait oublier que moral ne veut pas forcément dire moralisateur, et que ce qui intéressait Cayatte dans les affaires qu’il adaptait a souvent été de questionner le « bon droit » que les individus, les groupes ou les institutions opposaient à ceux dont ils voulaient faire payer les crimes, en réalité des actes transgressant justement la morale de leur temps. Si Cayatte a bien été un avocat dans la cinématographie française, c’était celui de la défense de l’individu broyé par la calomnie, la pression populaire, l’Histoire, voire-même la vengeance d’état à travers la peine de mort à une époque où se dresser contre était un acte de courage véritable.
En 1965, dans le creux de la vague, il décide alors d'abandonner ces films « dossier » pour tenter une incursion du côté d'Hitchcock et Clouzot, de leurs thrillers modernes où le trouble identitaire se fait matrice d'un suspense diaboliquement métaphysique. A travers un récit où la linéarité s’effiloche peu à peu à mesure que les témoignages contradictoires s’accumulent sur l’identité du personnage principal, c’est à un gouffre que Cayatte nous convie, celui d’une femme dont l’existence ne tient qu’à ce que les autres disent d’elle. Et cet abîme est d’autant plus attractif qu’il prend la forme d’un thriller constamment retors où nos certitudes et nos préjugés se voient implacablement balayés d’une séquence à l’autre : entre la bourgeoise et la prolétaire, qui a dominé l’autre jusqu’à la tuer ? Film manipulateur sur la manipulation, PIEGE POUR CENDRILLON nous perd dans une spirale étourdissante jusqu’à un final sans concession expliquant sans doute en grande partie l’échec du film à sa sortie.
Aujourd’hui, le film reste étonnant à plus d'un titre. Moderne dans ses thèmes comme dans certains pans de sa mise-en-scène (après un générique quasi Polanskien, il s’ouvre comme une sorte de version française de SECONDS / L’OPÉRATION DIABOLIQUE de John Frankenheimer), porté par la performance bluffante de Dany Carrel dans un triple rôle, secondée par une Madeleine Robinson grandiose de vilénie, PIEGE POUR CENDRILLON mérite largement, après plus de 50 ans d'oubli, d'être redécouvert.